mardi 10 juillet 2018

12- La clef des codes


Tara, avec Marc et Somba qui font les pitres, sous le porche du dispensaire.
Ma fenêtre, sur le côté, restait constamment ouverte
pour profiter des moindres calories du soleil, aérer et sécher le linge lavé.

S'il me manquait quelque chose, mis à part l'oxygène, le chocolat, le Gulf Stream, et la clef des champs, "conditions nécessaires et suffisantes" pour créer le paradis, s'il me manquait bien quelque chose c'était une autre clef : la clef des champs n'était pas perdue puisqu'un rayon de soleil me la rendait, la clef des codes, elle, était une énigme...
Il faut dire que si nous n'avions pas les codes, nous n'avions pas même la langue.
Regarder et sourire étaient les seuls sésames. 

Dans les tentes, mes hôtes étaient très civils et attentionnés : bien sûr, ils me caressaient les bras, mais en revanche ils connaissaient le seul remède qui me remplissait l'estomac. Le remède, ça va de soi, était le yogourt de yack sensé me remplumer.
En aparté, j'ai eu une illumination au sujet de ce plumage : avec une prétention inadéquate, je me suis imaginé que mes bras malingres témoignaient d'un degré de réincarnation partielle et par là-même unique. Bien avant d'aller au Tibet, j'avais prétendu me "désincarner" lors d'autres voyages. Désincarné ou réincarné, il me semble que c'est une question d'espace-temps. Entre les deux, il y a certainement un stade qui correspond aux limbes des chrétiens, sur lesquels je suis bien renseigné depuis toujours.
Dans les limbes, comme sur terre, serai-je partiellement réincarné ?
La question est trop complexe.


Le dispensaire n'a rien de commun avec les tentes. Dans ma pièce personnelle, je suis le maître, et j'ai des exigences. Il est hors de question que j'exerce comme Marc : chez moi, vous entrerez un par un ! Ce n'était certainement pas bienséant, et j'ai dû supporter, sur ma porte, les grattements, ininterrompus du matin au soir, qui critiquaient ma réclusion. L'impatience était palpable et intrusive : trois personnes s'engouffraient dès que la porte s'ouvrait, piétinant le malheureux qui sortait, me bousculant au passage, brandissant les numéros attribués par Tara dans un désordre d'autant plus inextricable qu'il confondait les accès au dentiste, à l'acupuncteur et à l'ophtalmologiste. Il fallait expulser manu militari deux patients excédentaires et le dernier consultant avec eux. Bref, c'était presque du grabuge.
Dans ce tohu-bohu, j'avais beau répéter les "tsering", c'est-à-dire "au-revoir, bonne journée, et toutes les félicités qui vous agréent", le pauvre patient tourneboulé qui sortait à contre-courant n'avait plus l'idée de me remercier ni de me saluer.
Des "tsering" à la pelle et pas d'écho, tant pis !
Et moi, Tara, je suis essoufflé, je fais une pause !
Bon, ne dramatisons pas, parfois c'était plus calme. 
Parfois aussi, s'alignait une file de moinillons qui me donnaient l'impression d'être un grand-père comblé de petits-fils curieux et prometteurs.



En fin d'après-midi, le couloir est enfin vide, revenu au calme. Tout au fond à droite sont les trois portes de nos chambres où nous restions soumis aux intrusions des patients, incrédules devant notre "paresse".

Et maintenant, pour vous distraire de mes préoccupations, une galerie de portraits de nomades :



Le masque est un accessoire indispensable. Son rôle officiel est la protection contre les UV. Pourtant, le teint coloré est considéré, par les tibétains eux-mêmes, comme un trait caractéristique les distinguant des chinois hans, au point que les femmes souvent le rehaussent. Pour nous qui peinions à différencier tibétains et hans, le teint était un indice majeur.
Contre les UV, vraiment ? Le masque est-il donc porté uniquement à l'extérieur ?
Non, tout autant à l'intérieur !
Allez savoir pourquoi...

Le masque, inutile dans l'instant, reste accroché à l'oreille.


Le teint tibétain.


 Cette coiffure des bergers du Kham est plus explicite sur la photo suivante.




Le chapeau à larges bords, un attribut masculin.























2 commentaires:

  1. Je me demande bien pourquoi leurs manteaux n'ont qu'une manche ? Ils n'ont pas froid de l'autre côté ?

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  2. Ah, mais je vois que sur certaines photos, l'autre épaule est couverte par un pan de ce manteau. J'en déduis que lorsque la température est clémente, ils se dégagent de ce pan, qui doit être rabattu derrière.

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