mercredi 4 juillet 2018

6- Urbi et orbi

En Chine, le syncrétisme et le "culte des ancêtres" (religion dite populaire négligée par les statistiques) faussent le recensement des fidèles des cinq religions officielles tolérées par les autorités. Néanmoins on considère que 200 millions de chinois sont "inspirés" par le taoïsme, que le bouddhisme est pratiqué par 100 millions de fidèles, le christianisme par 40 à 70 millions de protestants et 12 à 14 millions de catholiques, l'islam sunnite par  20 millions de musulmans. ("La Croix" du 25 juin 2010).
Au Tibet, le bouddhisme tibétain, ou lamaïsme, est largement majoritaire, influencé à l'origine par la religion chamanique indigène nommée Bön, qui garde des adeptes, côtoyant 4 à 5000 musulmans qui vivent essentiellement entre Lhassa et Shigatsé.

Mosquée de Yushu

 La boucherie est l'apanage des musulmans



L'ancien royaume de Nangqên dans l'aire géographique duquel se situe mon ermitage, était la région du Tibet historique qui regroupait le plus grand nombre de moines et nonnes, et reste celle où la population d'origine tibétaine garde une forte majorité vis à vis des chinois han. Dans la préfecture autonome tibétaine de Yushu, qui englobe le district de Nangqên, les tibétains représentaient 96% de la population lors du recensement de 2010, selon lequel 6.282.187 tibétains vivent en République Populaire de Chine. (L'Obs avec Rue89, publié le 25 avril 2013).



Sur le marché aux bijoux de Yushu


A la suite de mes consultations, j'ai calculé les pourcentages des patients laïcs et religieux : 69% pour les premiers, 31% pour les seconds. Cette proportion étonnante est certainement un peu faussée par la proximité entre le monastère et la clinique, mais il suffit de se promener en ville, à Nangqên ou à Yushu, pour constater que les moines et nonnes sont effectivement très nombreux, et que quantités de boutiques leurs sont consacrées où trouver tenues, objets de culte, drapeaux de prières, mandalas, etc.









Autrefois il arrivait que les moines se comptent par milliers dans un seul monastère, et la population ne pouvait subvenir à leurs besoins, si bien qu'ils exerçaient des activités professionnelles (cf. A. David-Néel). Aujourd'hui, cela ne semble plus être le cas : à mes questions fut répondu qu'ils vivaient des oboles offertes en échange de leurs prières. Pour leur vie quotidienne, cela paraît plausible, mais pour la reconstruction des monastères détruits par milliers (6000), il faut probablement d'autres ressources (peut-être assurées par la diaspora : 128.000 personnes).

Nouveau temple de Nangqên sur le modèle de celui de Kathmandou

Cette reconstruction et une relative liberté de culte ont peu à peu été rendues possibles après la mort de Mao qui met fin en 1976 à la Révolution culturelle. En 1978, la liberté de croyance est inscrite dans la Constitution pour les cinq religions officielles.
Le bouddhisme tibétain, ou lamaïsme, est en fait soumis à des restrictions du nombre de ses moines : 200.000 religieux en 1997 pour les deux courants du bouddhisme, lamaïsme et École Chan, selon le China daily. De plus, interdiction est faite aux monastères d'accueillir des moines avant l'âge de 16 ans, selon Elisabeth Martens.
Pékin joue encore des rivalités entre monastères pour s'immiscer dans leur vie quotidienne et leur hiérarchie.

Même si l'on devine que le poids économique que fait peser le clergé sur la population active est lourd, force est de constater que la ferveur religieuse est unanime et les pratiques cultuelles omniprésentes, pour ne pas dire obsessionnelles :

- Les tentes de prière agrémentent les paysages et tous les cols, se dégradant au fil du temps : colorées, puis délavées, puis en lambeaux :





- Les portraits des lamas réincarnés trônent dans les domiciles et les tentes :



- Les murs et les falaises s'ornent de mantras :





- Les chörtens s'alignent par huit. Le chörten  est composé de cinq figures emblématiques : carré, cercle, triangle, coupe et flammèche qui s'empilent sur un axe vertical "terre-ciel" et illustrent les cinq éléments (terre, eau, feu, air, éther). Il contient des reliques et des textes sacrés.





- Les pierres mani s'accumulent en cairns parfois immenses, rivalisant avec celui de Barnenez, dominés à l'occasion par des panneaux solaires qui alimentent en sourdine la diffusion des mantras :



- Les moulins à prières de toutes tailles sortent des monastères, utilisent le courant des torrents, sont maniés dans les rues, viennent jusqu'à Roscoff :









Dans mon moulin, un rouleau de prières, bien sûr !


- Les chapelets ornent toutes les poitrines :





- La lecture des textes sacrés est assidue jusque dans la rue :



- Les mantras sont récités à tout moment, en égrenant les chapelets :



 
 aom mani pèmé houng
"Salut au Joyau dans le Lotus", c'est-à-dire au Bouddha.


- Lors des pleines lunes, les pèlerins se jettent au sol de tout leur long de trois pas en trois pas, progressant ainsi sur des centaines de mètres autour d'un temple. Les plus longs pèlerinages effectués ainsi, sur des centaines de kilomètres et parfois plus de mille, en circumambulation autour d'un lac ou d'un mont sacrés, sont nommées "koras" (cf. Himalaya bouddhiste).

 



Les pèlerins portent de grands tabliers de caoutchouc qui leur permettent de se jeter sur le sol avec un élan et de glisser sur un mètre pour les plus énergiques. Avant la chute, ils frappent l'une contre l'autre, par trois fois, à trois hauteurs différentes, les cales de bois qu'ils tiennent en main et qui amortissent le choc. Ces trois hauteurs, au-dessus de la tête, au front et au cœur, symbolisent le respect dû au corps, à la parole et à l'esprit du Bouddha. Chaque prosternation, front à terre, recueille la souffrance du monde.


 Le téléphone portable dont tous les moines et nonnes sont équipés
 entre pourtant en concurrence sévère avec les chapelets...

La prochaine fois, nous entrons dans le monastère !

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