9- S'il y a une star...

C'est bien le yack !

Les yacks domestiques vivent en troupeaux si nombreux que je les ai comparés aux moutons écossais. Contrairement à ce qu'on imagine, ils n'ont pas une liberté de manœuvre illimitée : des milliers de mètres de grillage constituent des enclos à leur mesure, leur laissant l'accès aux torrents qu'ils affectionnent pour se rafraîchir. Ces grillages sont aussi des obstacles pour les randonneurs, pourtant pauvres en garde-robe, qui y déchirent leurs pantalons... 

Pour ne pas paraître maladroit, parce que Tara m'avait mis en garde contre eux, j'ai voulu faire croire que mon pantalon avait été la victime des ours. Personne ne m'a cru. Le tibétain aurait-il les pieds sur terre ?

 

Les yacks domestiques,

plus petits et plus légers que les yacks sauvages devenus rares,

sont souvent croisés avec des vaches ou des zébus.

Ils se nomment alors dzos, et font preuve de placidité.

Pour moi, l'avantage des yacks sur les moutons,

c'est surtout qu'il n'y a pas de chiens féroces pour les garder. 

Les chiens déchirent mieux mes pantalons que les grillages.

La toison du yack, dont la laine sert à confectionner les toiles de tentes, les vêtements et les cordes, leur permet par son épaisseur et sa longueur de supporter les températures hivernales en altitude, mais apparait souvent pelée en lambeaux pendant l'été. Or, c'est l'été, toujours, que je fréquente les yacks. Donc, des yacks, j'ai une image de bohémien. Dans mon imaginaire, le bohémien, pour sympathique qu'il soit à force de baguenauder, est quand même, comme moi, un peu déguenillé car il a la réputation de sauter, lui aussi, par-dessus les grillages. Le yack, le bohémien et moi finissons par nous ressembler ! Sauf le gabarit.

 

Le cuir du yack est utilisé pour confectionner des tapis, des coffres, des bottes, des lanières, des vestes probablement, et beaucoup de petits objets décorées d'argent et de corail, bourses à tabac, métchaks qui sont des pochettes-briquets avec silex, étoupe et patin d'acier, porte-monnaie et même moulins à prière.

Cet ornement, en théorie un porte-monnaie, semble utiliser peu de cuir,
si ce n'est sa courroie,
mais il s'apparente à tous les objets en cuir décorés de laiton et d'argent,
rehaussés de corail et de turquoises, tel celui qui suit.

Porte-monnaie en cuir de yack, en vente en ligne.

Vous savez déjà que le yack femelle fournit un lait riche en lipides, à partir duquel yogourt et beurre font les délices du voyageur.
Pour les carnivores, la viande bouillie des deux sexes a goût de bœuf, et la viande boucanée a goût de semelle, mais ils l'aiment ainsi.

 

La femelle du yack donne naissance à un seul petit tous les deux ans

et l'allaite pendant six mois environ.

Ensuite le petit, déjà imposant, sera sevré de force grâce à un masque acéré qui l'apparente à un gladiateur. Un gladiateur désarmé, vu son air misérable.

Ce qui déplaît fort à sa mère qui le renie.

Je crois que l'impression de désespoir, que je prête au jeune yack, traîne avec elle un soupçon d'anthropomorphisme. Mais les réactions suscitées par ces photos parmi mes correspondants ont bel et bien déclenché un apitoiement général qui prouve que l'être humain prend volontiers la place de l'animal souffreteux. Et pourtant le yack respire la santé même si son poil est sale, plein de tiques et autres parasites, qui infestent jusqu'à sa viande que j'ai crachée.

L'une des plus jolies versions de l'utilité supposée de ce masque acéré et cérémonieux m'a plongé dans une admiration sans frein pour l'auteur qui se reconnaîtra : il s'agissait d'éviter au yack de s'insinuer dans une faille rocheuse, plus étroite que le masque acéré donc inaccessible, où son arrière-train serait resté coincé ad vitam æternam s'il n'en avait été empêché. Dans cette version, le jeune yack est un risque-tout irréfléchi et me fait penser à l'un de mes fils au même âge : lequel ?

Que les autres détectives se rassurent, leurs élucubrations étaient du même acabit, j'en suis encore tout réjoui.

Je suppose que cette petite poignée ficelée de rouge qui pend sous son cou

permet de le mener sur les verts pâturages,

réservant ainsi le lait maternel à la production de yogourt.

J'avoue alors que son air pitoyable me semble très surjoué. 

Vous voyez que la petite poignée sous-mentonnière est attribuée

sans lien aucun avec le masque cérémonieux.

Les bouses du yack sont le seul combustible disponible sur le plateau tibétain.

Elles sont séchées étalées au soleil.

Elles constituent des mottes ou des murets bien décorés de chevrons.

Le tibétain a le goût du décor !