dimanche 1 juillet 2018

4- Les jérémiades

L'altitude est un obstacle aux efforts soutenus, et par là-même, me semble-t-il aux enthousiasmes expansifs. Toute exubérance est vite étouffée dans l’œuf. J'en prends conscience et dois admettre que toute activité, physique ou intellectuelle, est tributaire des rouages de la physiologie la plus élémentaire... C'est notre fragilité.


Avec mes compagnons et avec le chapeau tibétain
4475 mètres

Seul, un peu plus haut : 4645 mètres

Les méfaits de l'altitude étaient aggravés sans aucun doute par la température ambiante. Mieux supportée que l'altitude, la température était forcément gourmande en calories que nous perdions pour rester en vie.  Je corrige :  je n'ai pas eu l'impression que ma vie soit menacée, non, non, ça va, ça va, et c'est un peu exagéré de s'exprimer ainsi.
La température que nous n'avons pas mesurée devait plafonner vers les 10 ou 12° Celsius dans notre dispensaire. C'est peu pour rester immobile à scruter des fonds d'yeux en asphyxie et en vacillant. C'est peu aussi pour tenir un livre en mains, même si les pieds sont bien au chaud dans le drap de soie : où sont les gants de soie qui permettraient de tourner les pages. Voyageurs sur le toit du monde, ne les oubliez pas !
C'est peu encore pour s'arroser d'un broc avec l'eau de la citerne sur le carrelage glacé, un jour sur deux (Ne rêvez pas d'une hygiène quotidienne ! ), même si notre cuisinière finit par nous offrir une thermos d'eau bouillante, avec laquelle, faute d'habitude, j'ai carbonisé mes pieds.

Un F.O. à domicile, chez un vieux moine impotent,
dont les mains et les pieds sont déformés par la goutte.
Tara va traduire mes directives pour le regard.

Les méfaits de l'altitude et du froid étaient aggravés par l'anéantissement de l'appétit ! Tout avait pourtant bien commencé. Les deux œufs en omelette du petit-déjeuner étaient appétissants, même sans sel, et riches en protéines qui devaient me soutenir. Le bol de riz du déjeuner, pour n'être pas iranien, loin de là, devait éloigner les troubles digestifs, malgré l'absence de cuisson des pommes de terre qui l'accompagnaient. Les pâtes d'orge, presque crues, qui nageaient dans le bouillon du soir, remplissaient l'estomac en refusant de se digérer, et faisaient office de somnifère. Oui, d'accord, c'était bien... la première semaine. La seconde, c'était pénible. La troisième, j'étais à la diète.
Trois explications à cette inappétence :
1- La digestion est consommatrice d'oxygène et devient laborieuse au-delà de 3000 mètres.
2- Nous n'avions pas acheté de beurre et je suis breton !
3- A 4282 m d'altitude, l'eau bout exactement entre 85 et 86°, et les pâtes comme les pommes de terre restent fermes.

 
Je vous présente notre cuisinière,
que nous appelions Ani, c'est à dire "Nonne" ou "Sœur". 
Tous les matins, elle pétrit sa pâte d'orge, qu'elle déroulera le soir en rubans
et sectionnera en carrés jetés dans le bouillon.
Ani m'a offert un petit clip en argent intégré à mon chapelet tibétain.

 Cette photo me fait penser que je me suis fait caresser les bras à maintes reprises,
même par Ani, nonne très réservée, qui n'y pouvait résister !
Ce n'était pas par pitié pour mon étisie, c'était par ravissement devant une pilosité
comme aucun homme n'en arbore sur le Toit du monde...
J'avais pourtant prévu de m'épiler, j'ai bien fait d'y renoncer !

 Ani en compagnie d'un jeune patient

Alors quoi ?
C'est bien simple, malgré l'absence d'exercice, l'altitude + le froid + l'anorexie = perte de poids (pour se contenter d'un euphémisme). Grâce à la spiritualité des ascètes et surtout à la légèreté de nos anatomies, nous avons été deux à frôler la lévitation, chose banale dans les bandes dessinées sur le Tibet. 10% de poids en moins dès la première semaine, et l'effarement de notre ami Erwan me croisant torse nu au sortir de la "douche", m'ont permis de réaliser que j'étais un phénomène de foire. Bref, c'était pire qu'au cœur du Pamir où, au moins, je savais respirer (même sans les muscles dévolus à cette fonction).

 L'ophtalmoscope est entré dans le monastère !
Vous visiterez les lieux bientôt.

Je me plains, direz-vous.
Non ! Ces contingences physiques ne sont rien quand l'humeur est égale. Avec elles, ces contingences, je ne fais que vous prévenir de prendre des précautions pour vos futurs voyages au Tibet, auxquels vous aspirerez après la lecture de ce blog !

Ah ! J'ai oublié de parler des boissons !
Où que vous soyez, au dispensaire, au restaurant ou à l'hôtel, le premier verre qui vous sera servi contiendra de l'eau chaude ! Uniquement de l'eau chaude, sans aucun parfum et sans couler de source. Je me raisonnais pour la boire en pensant m'hydrater et me réchauffer, mais ça n'a fait qu'un temps, j'ai fini par l'envoyer valser.
Le thé tibétain n'a pas fait plus long feu. Le thé, lui-même, n'a aucun goût, et ressemble comme un frère à l'eau chaude précitée. On y ajoute une petite proportion de lait de yack, c'est tout. Imaginez ce dosage : un quart de lait, trois quart d'eau chaude, et persuadez-vous que vous voilà nourri avec délice : ça ne fait qu'un temps, vous l'envoyez valser.
Mes compagnons se délectaient alors de bières en canettes, que j'ai jugées plus ou moins frelatées et indigestes. Il n'a jamais été question de cidre...


Que me restait-il, à part le bouillon du soir sans les pâtes mal cuites ? Rien !
Faux ! Il me restait le yoghourt au lait de yack, ma panacée !

Le yoghourt et le gigot boucané

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